Les travailleurs et la mobilité dans les villes d’ancien régime: acteurs et stratégies
Journées d’étude | Paris, 25-26 juin 2015
(EHESS, Paris – Université de Padoue)
Workers and Mobility in Early Modern Cities: Actors and Strategies
International Workshop | Paris – 25/26 June 2015
(EHESS, Paris – University of Padua)
Les changements décisifs que le marché du travail est en train de vivre dans les dernières années ont encouragés la réflexion historiographique autour de la précarité et de la flexibilité du travail. Loin d’être une prérogative des sociétés actuelles, la mobilité des travailleurs, surtout intra-sectorielle, a aussi caractérisé le monde du travail de l’Ancien Régime. L’activité des instituts d’assistance et des confréries, les stratégies individuelles et familiales, les parcours professionnels, les contrats et les accords de travail ne sont que quelques-uns des domaines où l’on peut trouver des traces de cette mobilité professionnelle, entendue non seulement comme opportunité de promotion sociale mais aussi et surtout comme condition d’instabilité. Ces journées d’étude voudraient contribuer à éclaircir certaines questions spécifiques sur le thème de la mobilité professionnelle, compte tenu du récent débat historiographique.
Les attitudes et les positions des travailleurs face à la mobilité n’étaient pas univoques : dans certains cas, ils en étaient responsables à travers la résiliation anticipée des contrats ou la migration spontanée ; dans d’autres cas, ils la subissaient à cause des licenciements, des périodes d’inactivité, des déplacements forcés. Pour mieux comprendre les différents aspects de la mobilité professionnelle, il est nécessaire d’enquêter sur les parcours professionnels et les stratégies de certains acteurs face à la mobilité. Il s’agit, en d’autres termes, d’examiner les instruments à disposition des acteurs, les ressources activées pour limiter ou défendre la mobilité ainsi que les conséquences qu’une situation de mobilité professionnelle avait sur les différents secteurs productifs et sur le tissu social urbain.
Les journées d’étude visent à focaliser l’attention, avant tout, sur les acteurs sociaux face aux situations de mobilité professionnelle, en se concentrant plus spécifiquement sur leurs stratégies et sur les instruments utilisés durant le passage d’un emploi à l’autre, d’un moment d’activité à l’inactivité et vice-versa, d’un secteur productif à l’autre ; mais aussi sur les conséquences que ces parcours avaient sur la vie des individus et sur le rôle qu’ils jouaient dans la société urbaine.
Nous sommes convaincus qu’une telle stratégie de recherche – focalisée sur les acteurs et sur les pratiques sociaux – nous permettra de mieux comprendre non seulement le fonctionnement des marchés du travail, mais aussi la raison de l’existence de certaines institutions urbaines de première importance (telles que les confréries, les corporations, les hôpitaux) et les solutions que ces sociétés élaborèrent pour faire face à la mobilité du travail.
À titre d’exemple, nous proposons quatre axes de recherche pour encourager la réflexion :
1. Acteurs. La reconstruction des parcours professionnels individuels et familiaux peut aider à comprendre non seulement quels acteurs étaient plus touchés par le phénomène de la mobilité professionnelle, mais aussi les différentes stratégies que les travailleurs qualifiés et non-qualifiés, femmes et hommes, étrangers et citoyens essayaient de créer dans les périodes de mobilité.
- Quelles stratégies, individuelles ou familiales, étaient utilisées face à l’instabilité professionnelle ?
- Quels travailleurs étaient le plus sujets à la mobilité professionnelle ?
- Est-ce que l’on peut identifier des typologies ou des groupes sociaux spécifiques ?
- Comment ces stratégies se différenciaient-elles ? Selon le genre, l’âge ou le status des acteurs ?
2. Réseaux. Les études socio-anthropologiques nous ont montré l’importance des réseaux de liens sociaux dans la recherche d’un emploi. A notre avis, il est nécessaire de comprendre comment et à travers quels outils ces réseaux étaient activés et quand il était préférable pour les individus de rester à l’intérieur ou de sortir du réseau.
- A quels acteurs du réseau les travailleurs s’adressaient-ils en cas de nécessité dans les périodes de mobilité professionnelle ?
- Est-ce que l’on peut identifier des lieux de la ville qui favorisaient la socialisation et l’échange d’informations sur l’offre et la demande de travail ?
- Comment les marchés du travail personnalisés, imbibés de relations sociales, étaient-ils en rapport avec les marchés impersonnels, dont les sources parlent des places de marché, comme la célèbre Place de Grève à Paris ? S’agissait-il de deux mondes différents ou de deux ressources complémentaires ?
3. Organisations. Dans les parcours de vie individuels et familiaux, certains instituts de la ville (corporations, instituts d’assistance, confréries) jouèrent un rôle de soutien remarquable face au moment d’inactivité et à l’incertitude, à travers la garantie de l’assistance, la gestion de la mobilité et, par conséquent, le maintien de l’ordre publique. Dans ce sens, ces institutions étaient aussi bien des ressources disponibles dans les moments de crise qu’un instrument de contrôle avec lequel les travailleurs avaient souvent un rapport conflictuel. En laissant de coté l’histoire institutionnelle ou normative de ces organisations, à notre avis, il est nécessaire de comprendre les instances que les acteurs leur adressaient et d’identifier les ressources auxquelles les acteurs pouvaient accéder et celles qui leur étaient interdites.
- Quelles requêtes les travailleurs adressaient-ils aux organisations et aux institutions de la ville en cas de mobilité professionnelle ?
- Quand et comment les acteurs s’adressaient-ils et avaient-ils accès à ces organisations ?
- Quel rapport liait les travailleurs et ces organisations dans les moments de normalité ?
4.Institutions. Certaines institutions – c’est-à-dire les obligations juridiques et sociales, dans ce cas les normes et les contrats – jouaient un rôle crucial pour favoriser ou limiter la mobilité professionnelle. La définition des termes des contrats était souvent le résultat d’un processus de négociation entre les employeurs et les travailleurs qui nous permet d’observer et de comprendre les instances et les stratégies des parties pour favoriser ou limiter la mobilité professionnelle ou la libre circulation de la main-d’œuvre. Les accords de travail, en définissant la typologie du rapport de travail (par exemple libre ou servile), les modalités de paiement des salaires (avec ou sans avances), l’émission des licences de fin de rapport, étaient autant d’instruments de régulation de la mobilité professionnelle, qui pouvaient être négociés et renégociés par les parties. D’autre part, certaines lois – positives ou coutumières –pouvaient limiter la possibilité de négocier les contrats, en empêchant les violations des accords et le licenciement arbitraire, en exerçant un contrôle sur le vagabondage et les déplacements d’un lieu à l’autre. A travers la reconstruction des contextes législatifs de référence, l’observation du processus de négociation des contrats de travail peut aider à mieux comprendre les instances et les stratégies des acteurs.
- Quelles instances les travailleurs adressaient-ils au tribunal ou aux notaires pendant les processus de renégociation des contrats en cas de mobilité professionnelle ?
- Quels droits les acteurs revendiquaient-ils au moment de la négociation ou de la renégociation d’un contrat ?
- Quelles clauses ou outils contractuels étaient utilisés par les acteurs sociaux pour favoriser ou limiter la mobilité professionnelle ?
Les contributions peuvent englober un ou plusieurs axes parmi ceux indiqués ci-dessus. Les propositions (300-500 mots) en français ou en anglais, doivent être envoyées, avec un bref CV (1 page), avant le 31 janvier 2015 au adresse courriel : workersmobility@gmail.com.
La sélection des propositions suivra un critère de cohérence des contributions avec les stratégies de recherche indiquées dans l’appel à contributions. L’acceptation sera communiquée aux participants avant le 7 février 2015.
Les journées d’étude sont organisées par l’EHESS de Paris et L’Université de Padoue dans le cadre des activités des projets de recherche Marie Curie IEF – Intra-European Fellowships “Migration, integration and labour market: skilled workers and building sites in Turin in the Eighteenth Century” et FIRB 2012 – Futuro in ricerca “Maritime borders in the Mediterranean: how permeable are they? Exchange, control, denial of access (16th to 21st century)”.
Ce colloque sera le premier d’une série de journées qui auront lieu pendant la période 2015-2016 autour du thème de l’histoire du travail et des migrations ; par ailleurs, le fruit de ces journées sera la publication d’une série d’ouvrages collectifs sur ces sujets.
Contacts: workersmobility@gmail.com
Dr. Andrea Caracausi, Università di Padova (andrea.caracausi@unipd.it)
Dr. Nicoletta Rolla, EHESS-Paris, Marie Curie Fellow (nicoletta.rolla@ehess.fr)
English version
The important changes that are currently taking place in the job market have prompted historical consideration of the issues of job insecurity and flexibility. Far from being exclusive to modern day societies, a mobile workforce – above all between sectors – was also a feature of the early modern world of work. The work of charitable organisations and confraternities, individual and family strategies, career paths, contracts and work agreements are all fields in which traces of this mobility are visible and it was seen not so much, or not solely, as a chance for social betterment but also and above all as a unstable state. The goal of this workshop is to contribute to an analysis of certain more specific labour mobility issues in the light of the historical debate which has taken place over recent years. Workers’ attitudes and approach to labour mobility varied widely. In some cases they themselves were responsible for it when they terminated contracts in advance or moved around freely. In other cases they were the victims of it when they were sacked or in periods of non-employment and forced relocation.
For a more in-depth understanding of this issue it is important, firstly, to reconstruct the roles of certain key players in it and understand the strategies used at such times. In other words it is a matter of examining the tools available to such figures, the resources mobilised to limit or defend mobility and the consequences that a labour mobility situation had on both the various manufacturing sectors and on the urban social fabric itself.
The goal is thus to focus primarily on individuals placed in situations of labour mobility and more specifically on the strategies and tools they used in moving from one occupation to another, from employment to unemployment and vice versa and from one type of labour relation to another and the impact that such processes had on individuals’ lives and their roles within urban societies.
We are convinced that such a research strategy – concentrating in the first analysis on individuals and their social customs – will give us a more in-depth understanding not only of the functioning of the labour market but also of the raison d’etre of certain important urban institutions (guilds, confraternities, hospitals) and the solutions that such societies conceived of to deal with mobile employment conditions.
We hereby put forward four themes around which research should be encouraged
1. Players. Reconstructing individual and family career paths can help in an understanding not only of which groups were involved to the greatest extent in labour mobility phenomena but also the various strategies which skilled and unskilled workers, men and women, foreigners and citizens were able to harness in periods of labour mobility.
- Which strategies, both individual and family, were mobilised in the face of employment insecurity?
- Which workers were most subject to labour mobility? Is it possible to reconstruct certain social types or groups?
- Which strategies varied according to workers’ gender, age or status to the greatest or the least extent?
2. Networks. Studies in sociology and anthropology have demonstrated the importance of social networks in the search for work. We believe that an understanding of how such networks were set up and the tools they made use of as well as when it was useful for individuals to remain within such networks and when it was more advantageous for them to leave is required.
- Who did individuals in a relationship network turn to within their networks in periods of job mobility?
- Which places in towns encouraged socialisation and exchange of information in relation to job supply and demand?
- How did a personalised employment market based on social relationships interact with the wholly impersonal employment markets referred to in the sources, marketplaces such as the celebrated Parisian Place de Grève. Were they truly two different worlds or was there one or more point of contact?
3. Organisations. In individual and family life paths, certain urban institutions (guilds, charitable associations and confraternities) played a fundamentally important supporting role at times of unemployment guaranteeing assistance, managing occupational mobility and thereby contributing to maintaining public order. In this sense they were simultaneously resources to resort to at moments of crisis and social control techniques which workers often came into conflict with. Rather than an institutional history of such bodies what is required, we believe, is an examination of the demands individuals made of such bodies, the contexts in which they were granted access to them and those in which access was denied them.
- What questions did workers pose to these town organisations and bodies in periods of employment mobility?
- How did individuals gain access to such bodies and how did they approach them?
- What relationship existed between workers and such institutions in normal times?
4. Institutions. A number of studies have illustrated the role played by certain institutions – i.e. by legal and social restrictions such as laws and contracts – in encouraging or limiting labour mobility. Contract terms were often the result of bargaining between employer and employee which gives us an insight into the demands made by the two parties to the contract and the strategies used to encourage or limit the free circulation of labour. Working agreements defining working relationship type (free or servile, for example), the way wages were paid (with or without advances) and the issuing of end of employment permits were tools used to regulate labour force mobility and were subject to negotiation and re-negotiation between the parties to them. On the other hand, other laws – statutory or common law – limited contract renegotiation blocking violation of the original agreements and arbitrary sacking in order to prevent vagrancy or wandering from place to place. Observation of job contract renegotiation, then, can help us to better understand the claims made by the parties to them and the strategies they employed.
- What demands could workers take to notaries and courtrooms when they needed to renegotiate a contract as a result of mobility?
- What rights did the parties to a contract have at the moment at which renegotiation for employment mobility was required?
- Which clauses or contractual tools were used by individuals to block or encourage mobility?
Contributions can deal with one or more of the fields referred to above. Individual proposals (300-500 words) in French or English must be sent together with a brief, 1 page CV by 31st January 2015 to the following email: workersmobility@gmail.com. Proposals will be selected on the basis of their relevance to the research guidelines contained in this call for papers. Speakers will be informed of the acceptance or otherwise of their papers by 7th February 2015.
This workshop has been organised jointly by EHESS in Paris and Padua University in the context of the activities of the Marie Curie IEF – Intra-European Fellowships “Migration, integration and labour market: skilled workers and building sites in Turin in the Eighteenth Century” and FIRB 2012 – Futuro in ricerca “Maritime borders in the Mediterranean: how permeable are they? Exchange, control, denial of access (16th to 21st century)” projects. The workshop is the first of a series of meetings to be held in the 2015-16 two-year period on the issue of the history of work and migration which will culminate in a series of group publications on the subject.
Contacts: workersmobility@gmail.com
Dr. Andrea Caracausi, Università di Padova (andrea.caracausi@unipd.it)
Dr. Nicoletta Rolla, EHESS-Paris, Marie Curie Fellow (nicoletta.rolla@ehess.fr)