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Donner du travail aux pauvres : les logiques laborieuses dans les institutions...   121


                    travail contraint se mêlent à des formes de travail « libre », que ce soit
                    celui que certain·es pensionnaires arrivent à faire sur commission de
                    l’extérieur dans une espèce de zone grise non réglementée, mais pour-
                    tant assez largement tolérée, ou celui que les familles reçoivent de la
                    Congrégation de San Giovanni. De toutes les façons, l’éthique du tra-
                    vail va de pair, plus qu’il ne s’oppose, à la mortification et à la péni-
                    tence. Le respect de ses règles est un aspect général de l’acculturation
                    de  populations  que  l’on  pense  toujours  rétives  au  labeur,  jusqu’à
                    l’émergence de ces voix, timides encore, qui inversent le propos.
                       Plus qu’on ne l’a dit souvent, le travail compte dans l’économie de
                    ces institutions. Quand certaines d’entre elles retirent plus de 40 %
                    de  leurs  recettes  du  labeur  de  leurs  pensionnaires,  on  comprend
                    mieux les enjeux et les conflits de la mise au travail, puis de la régu-
                    larité de celui-ci. Le travail n’est pas non plus secondaire pour ceux et
                    celles qui y sont soumis car il rythme leur vie, dans les murs ou hors
                    d’eux ; il leur permet parfois d’espérer la gagner. Les épisodes de con-
                    testation, plus qu’un refus total du travail, concernent les formes de
                    son organisation, de ses horaires, et, surtout, le partage de ses fruits
                    entre le travailleur et l’institution. D’ailleurs, le pain et le travail sont
                    les deux piliers de la revendication populaire féminine du début du
                    XVIII  siècle dont il faut souligner la précocité. Luigi Passerini s’illu-
                         e
                    sionne sans doute beaucoup quand il pense, en 1850, que la Toscane
                    est encore immune des revendications au « droit au travail » dont, se-
                    lon lui, les idées funestes prolifèrent ailleurs. Si les journées françaises
                    de juin 1848 sont certainement encore très fraîches dans sa mémoire,
                    il a manifestement oublié les cris des femmes assemblées sous les fe-
                    nêtres du grand-duc en 1710. Que demandent-elles d’autres ? Dans
                    ce cas, ne faudrait-il pas voir dans les décisions granducales de 1694,
                    comme dans l’action des Jésuites au sein de la Congrégation de San
                    Giovanni, la réponse à des exigences populaires dont il est d’autant
                    plus difficile de contester la légitimité que le travail a été érigé depuis
                    des siècles comme l’attribut du peuple dans le plan de la providence ?
                    Peut-être faudrait-il élargir le concept d’économie morale conçu par E.
                    P. Thompson pour y inclure le proto-droit au travail qui s’exprime ici ?
                    C’est sans doute aussi pour cela que, même au plus fort de l’orienta-
                    tion agrarienne et physiocrate sous Pierre Léopold, son gouvernement
                    continue  de  développer  par  l’entremise  des  institutions  charitables
                    une politique qui reste au fond très « mercantiliste », en ce sens qu’elle
                    tend à introduire des innovations de produits et de techniques pour
                    stimuler des productions de substitution d’importations capables de
                    donner du travail aux pauvres. Sans doute la paix de la capitale est-
                    elle à ce prix. La contradiction n’échappe cependant pas à certains. Le
                    débat qui s’instaure précisément alors oppose les libéraux qui refusent




                                                 Mediterranea - ricerche storiche - Anno XVII - Aprile 2020
                                                           ISSN 1824-3010 (stampa)  ISSN 1828-230X (online)
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