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90 Andrea Caracausi, Corine Maitte
des institutions –qui d’ailleurs se spécialisent bien souvent dans l’aide
à l’un ou l’autre sexe– qu’à l’extérieur. Elle est présente à la fois dans
le type de travaux confiés aux filles et aux garçons et dans les lieux du
travail. On envoie bien plus facilement les garçons travailler à l’exté-
rieur des murs dans les boutiques artisanales que les filles (Maitte,
Pellegrino). À l’intérieur des murs, il n’est évidemment pas question de
favoriser des promiscuités dangereuses, alors que le monde des ate-
liers et des fabriques est, lui, bien plus mélangé qu’on ne l’a longtemps
cru. De grands espaces de travail sont donc prévus au sein d’édifices
souvent construits ou réaménagés ad hoc, montrant la volonté précoce
d’organiser des lieux distincts pour le travail et pour les autres activi-
tés, notamment la prière (Rossi).
Ces distinctions sexuelles se doublent de partages moraux et so-
ciaux. Martinat souligne également que l’institution lyonnaise opère
une nette distinction entre les jeunes filles légitimes (les « Catherine »)
et illégitimes (« Thérèse ») : alors que les premières sont parfois ap-
prenties des métiers (couturières, chapelières, passementières etc.) ou
tisseuses dans la Grand Fabrique de soie, les autres sont employées
comme main-d’œuvre de base de la Grande Fabrique (tireuses notam-
ment), sans aucun espoir d’ascension . La question des distinctions
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plus ou moins subtiles opérées par les institutions en fonction des
différences sociales, morales et de l’âge des pensionnaires est ici aussi
au cœur des questionnements.
Le second ensemble de questions concerne le profil social des ges-
tionnaires : qui sont-ils ? Sont-ils recrutés parmi le clergé ou sont-
ils aussi des marchands ? Quel rôle ont-ils joué dans les choix pro-
ductifs ? Parmi les trois grands types d’institutions rappelés plus
haut, il n’y a pas, nous semble-t-il, de modèles nettement différenciés
et l’on peut trouver des entrepreneurs liés à des institutions ecclé-
siastiques et vice-versa. Pour reprendre l’exemple turinois, la fabri-
cation de drap fut introduite en 1698 dans l’Hôpital de Charité :
d’abord gérée directement par le gouvernement, elle fut concédée en
1702 au flamand Cornelius Wanderkrich qui y développa la produc-
tion de draps militaires et de couvertures, d’ailleurs vendus essen-
tiellement à la monarchie . Une telle imbrication se poursuit loin
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dans le siècle et se retrouve dans d’autres institutions urbaines
puisqu’en 1771, par exemple, les draperies des Hôpitaux de Turin
sont aux mains des Richard, entrepreneurs drapiers venus de Sedan
17 M. Martinat, Travail et apprentissage cit.
18 M. Sodano, Degli antichi lanifici biellesi e piemontesi, Unione biellese, Biella, 1953,
p. 138 et C. Maitte, État, territoire et industries au Piémont, 18 e siècle, «Revue du Nord»,
4 (2003), pp. 747-779.
Mediterranea - ricerche storiche - Anno XVII - Aprile 2020
ISSN 1824-3010 (stampa) ISSN 1828-230X (online)